"Les Égyptiens avaient l'électricité", selon Gims : ce qui se cache derrière ses propos

GIMS. Le rappeur Gims s'est retrouvé au cœur d'une vaste polémique après avoir tenu des propos complotistes sur l'histoire africaine, les Égyptiens, le mythe de Wakanda ou l'électricité dès l'Antiquité.

Entre révisionnisme et complotisme, Gims refait l'Histoire. Dans l'extrait d'une vidéo, postée sur la chaîne YouTube Oui Hustle le 22 mars dernier, mais qui a explosé cette semaine sur les réseaux sociaux, le rappeur a livré une version farfelue, voire complotiste, de l'Histoire de l'Afrique. Ces théories fumeuses et des propos révisionnistes, sans aucune contradiction de son interlocuteur, le YouTubeur LeChairman, ont depuis déchaîné les réseaux sociaux comme les médias et autres commentateurs.

Mais derrière les propos du célèbre rappeur Gims, comment peut-on expliquer ce que l'on pourrait qualifier de "délire historique", selon les mots de Jean-Yves Carrez-Maratray, professeur d'Histoire ancienne à l'Université Sorbonne Paris Nord ? Voici quelques éléments de réponse.

"Les Égyptiens avaient l'électricité"

Dans la séquence extraite de la vidéo YouTube en question, Gims avance : "Les pyramides qu'on voit là, au sommet il y a de l'or. L'or, c'est le meilleur conducteur pour l'électricité. C'était des foutues antennes, les gens avaient l'électricité ! Les gens, ils n'arrivent pas à comprendre ça. Les Égyptiens, la science qu'ils avaient, ça dépasse l'entendement. Les historiens le savent."

Gims évoque ici une théorie qui fait régulièrement surface dans des sphères douteuses d'Internet. Les Égyptiens utilisaient l'or comme décoration, pas en tant que matériaux de construction à proprement parler. Le fantasme d'une Egypte disposant de l'électricité dès l'Antiquité a par exemple inspiré les créateurs de l'univers de l'œuvre de science-fiction Stargate. Mais contrairement à ce qu'affirme Gims, non, les Égyptiens n'avaient pas l'électricité et le sommet des pyramides n'était pas une centrale électrique.

Gims s'appuie donc ici sur une théorie connue des milieux complotistes, qui s'explique par la fascination, toujours présente aujourd'hui, autour des Égyptiens et de leurs pyramides, qui ont gardé une part de mystère, même pour les plus grands spécialistes, laissant inévitablement naître des fantasmes. Cette fascination pour les pyramides est résumée en un mot par le professeur Carrez-Maratray : "égyptomanie." "Il aurait parlé des Grecs, ça aurait moins marché. De ce point de vue les réseaux sociaux ont leurs sujets favoris, et l'Egypte pharaonique en est un, alors qu'elle n'a, a priori, pas de raisons d'être plus mystérieuse qu'une autre culture du passé", souligne-t-il.

"Des renois qui sont en mode chevaliers"

Gims poursuit son discours : "50 000 ans avant les Européens, la notion de la chevalerie, on l'avait déjà. Tu retrouves aujourd'hui des tableaux qui sont cachés dans des catacombes. C'est des renois qui sont en mode chevaliers, Lancelot tout ça. Bien sûr, ça existait déjà ! C'est juste qu'il faut connaître notre histoire." Il reprend ici une autre théorie complotiste, celle selon laquelle certaines sources et vérités historiques, comme des tableaux, auraient été dissimulées volontairement. Or, il n'en est rien : les représentations de chevaliers africains au Moyen-Âge, en tableaux, en statue ou dans des écrits, ne sont pas rares et bien connues des spécialistes.

Pour le professeur d'histoire ancienne Jean-Yves Carrez-Maratray, ces propos illustrent d'une "recherche de mythes fondateurs", par le rappeur congolais lui-même dans ce discours, mais "plus généralement par des Africains actuels." "Comme l'écrivait Henri-Irénée Marrou, 'l'histoire est la connaissance du passé humain.' Le mot essentiel est 'connaissance' : on connaît le passé humain. Évidemment, cela ne signifie pas qu'on connaît tout le passé humain, mais seulement certaines choses indiscutables à son propos : par exemple que les Egyptiens anciens n'avaient pas l'électricité. En le prétendant, Gims invente du faux passé", nous explique le spécialiste.

Mais alors, pourquoi inventer du "faux passé" ? Sur cette question, le professeur Carrez-Maratray rappelle la distinction faite par les Grecs entre deux notions bien différentes d'un discours : le logos et le mythos.

  • "Le logos est le 'discours rationnel', vérifiable par la méthode" et donc les vérités historiques, indiscutables. Par exemple, il est anachronique et faux d'affirmer que les Égyptiens avaient l'électricité, puisque celle-ci a été découverte bien après.
  • A l'inverse, le mythos est le "discours de l'inconnu" : ce que l'on ne sait pas de l'histoire. "Par définition donc, le mythos mélange le vrai et le faux, faux de la fiction pour dire le vrai du mystère... Par exemple celui des dieux, de la création du monde, de l'au-delà, etc.", rappelle Jean-Yves Carrez-Maratray. Parmi ces fictions, une autre est évoquée par Gims dans la vidéo en question, celle du Wakanda, pays fictif de l'univers Marvel.

"L'Afrique c'est Wakanda"

Dans son discours, Gims évoque donc ce petit pays fictif de l'Afrique subsaharienne qu'est le Wakanda, qui devient célèbre - dans l'univers Marvel - pour ses gisements du métal - fictif - le vibranium. Le Wakanda est dirigé par le super-héros connu sous le nom de la Panthère Noire. Gims dit : "L'Afrique, c'est Wakanda, bordel ! C'est le futur normalement chez nous. À l'époque de l'empire de Koush (vers 1070 avant Jésus-Chris ndlr.), il y avait de l'électricité."

Dans la même logique évoquée précédemment, le rappeur illustre ici le besoin de certains "de se 'construire un passé mythique'. C'est leur droit..., explique le professeur d'histoire ancienne, mais il est évidemment hors de question que leur mythos puisse être reconnu comme du logos, c'est-à-dire comme de la réalité du passé reconnue, elle, comme de l'Histoire."

D'où viennent ces théories complotistes ?

Avec l'essor d'Internet et des réseaux sociaux, ce genre de théories, relayées par Gims, sont nombreuses et accessibles par tous. Ici, le discours du rappeur a pour origine l'enseignement du professeur sénégalais Sheikh Anta Diop. Selon lui, comme nous l'explique Jean-Yves Carrez-Maratray, "l'Egypte pharaonique fut une civilisation exclusivement d'origine noire africaine. Cette théorie est universellement récusée par les égyptologues du monde entier. Les partisans de Diop affirment que les dits égyptologues auraient trafiqué le passé pour cacher cette réalité noire africaine des pharaons (théorie dite aujourd'hui 'complotiste'). C'est bien sûr impossible : l'égyptologie a deux siècles de science derrière elle et elle ne falsifie rien."

Les propos de Gims sont-ils dangereux ?

Sur ce point, de nombreux commentateurs s'accordent à dire que oui, les propos de Gims représentent un réel danger. L'extrait en question, repris des milliers de fois sur Twitter, a suscité l'indignation de la Toile. Il faut dire que Gims est suivi par des millions de personnes (trois sur Instagram et sur Twitter, onze sur YouTube et Facebook), dont une large majorité de jeunes.

Cette menace est toutefois à nuancer. "Le fait que tout le monde rie en entendant dire que les Égyptiens anciens avaient l'électricité indique que ce n'est même pas la peine de consulter un égyptologue pour savoir ce que, de fait, tout le monde sait : que c'est faux", souligne le professeur Carrez-Maratray. Et de conclure : "Il faut espérer que très peu d'esprits crédules se mettront à penser que ces 'paroles inspirées' seraient, 'en réalité', la vérité du temps passé."

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