Accords Sykes-Picot : le traité secret franco-britannique de 1916

Accords Sykes-Picot : le traité secret franco-britannique de 1916 Le 16 mai 1916 sont signés les accords Sykes-Picot entre la France et le Royaume-Uni. L'objectif ? Anticiper le découpage du Proche-Orient dès la fin de la Première Guerre mondiale.

Résumé des accords Sykes-Picot - Les accords Sykes-Picot sont le résultat d’un long travail épistolaire entre deux hommes : Mark Sykes, militaire, diplomate et voyageur britannique, et François Georges-Picot, diplomate français. Le 16 mai 1916, la France et le Royaume-Uni signent le texte à Londres. Ces accords prévoient un découpage du Proche-Orient en cinq zones à l’issue de la Première Guerre mondiale. Rapidement attaqué dès qu’il a été rendu public, ce texte est finalement entériné en 1920. A la fin de la guerre, la France et le Royaume-Uni se voient attribuer des mandats par la Société des Nations.

Quelles sont les causes des accords de Sykes-Picot ?

Les négociations concernant les accords Sykes-Picot ont démarré en novembre 1915. A cette époque, la Première Guerre mondiale fait rage depuis juillet 1914. Les alliés de la Triple-Entente (France, Empire britannique, Russie, Belgique, Serbie, Italie, Portugal…) font face aux Empires centraux (Autriche-Hongrie, Allemagne, Empire ottoman et Bulgarie). Cette guerre, qui devait être courte en raison des armes surpuissantes présentes dans chaque camp, va en réalité durer quatre ans.

Où en est-on précisément en novembre 1915 ? La France et le Royaume-Uni ont remporté l’un des épisodes clés de la Première Guerre mondiale, à savoir la première bataille de la Marne. Sous le commandement du maréchal Joffre, les troupes françaises, soutenues par les troupes britanniques, parviennent à stopper l’avancée de l’armée allemande, en route vers Paris. Autre événement important, du côté de la Méditerranée, la bataille des Dardanelles, oppose l’Empire ottoman aux soldats britanniques depuis le mois de février 1915. L’objectif de Churchill ? S’emparer du détroit des Dardanelles (dans la péninsule de Gallipoli, en Turquie) pour bénéficier d’un libre accès au bassin méditerranéen et protéger l’Egypte (colonie britannique) et le canal de Suez des menaces ottomanes.

Dès le mois de novembre de cette année 1915, Mark Sykes et François Georges-Picot se mettent au travail pour anticiper le découpage du Proche-Orient. Alors que le premier était spécialisé dans le Moyen-Orient, le second occupait le poste de consul général de France à Beyrouth. Ces accords étaient secrets et visaient à instaurer plusieurs zones d’influence au profit de la France et du Royaume-Uni.

Qui a signé les accords de Sykes-Picot en 1916 ?

portrait Paul Cambon
Portrait de Paul Cambon © MARY EVANS/SIPA (publiée le 29/03/2023)

Après environ six mois de travail, Mark Sykes et François Georges-Picot, les deux auteurs, ont terminé de rédiger le texte. C’est à Downing Street (célèbre rue londonienne où se trouvent les résidences du Premier ministre britannique et du ministre du gouvernement du Royaume-Uni chargé des finances et du trésor) qu’ont été signés les accords secrets de Sykes-Picot. Côté britannique, le signataire est Edward Grey, secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères de 1905 à décembre 1916. Il avait notamment participé à négocier l’entente anglo-russe en 1907 (visant à définir les limites de l’influence des deux puissances en Asie centrale). Côté français, le signataire n’est autre que Paul Cambon, ambassadeur de France au Royaume-Uni de 1898 à 1920. A noter que la Russie a participé aux délibérations et a donné son accord.

Portrait Edward Grey
Portrait d'Edward Grey © MARY EVANS/SIPA (publiée le 29/03/2023)

En avril 1917, une autre réunion entre les Premiers ministres britanniques et français David Lloyd George et Alexandre Ribot se déroule dans un train à Saint-Jean-de-Maurienne. Les deux hommes politiques rencontrent le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères du royaume d’Italie : Paolo Boselli et Sidney Sonnino. Tous les quatre trouvent un accord et intègrent l’Italie dans les accords Sykes-Picot. L’idée est de renforcer la position des forces italiennes au Moyen-Orient. La signature de ces accords est restée secrète jusqu’au 23 novembre 1917. Ce sont les journaux russes Izvestia et La Pravda qui ont révélé cette information. Trois jours plus tard, celle-ci est reprise dans le Manchester Guardian, un journal britannique.

Quel est l’objet des accords de Sykes-Picot ?

Les accords Sykes-Picot prévoient un découpage du Proche-Orient entre la France et le Royaume-Uni. Quels sont les territoires concernés ?

  • La zone bleue française est une administration directe qui comprend l’actuel Liban et la Cilicie, une région historique d’Anatolie (située dans le sud de l’actuelle Turquie) ;
  • la zone arabe A est d’influence française. Elle se compose du nord de l’actuelle Syrie et de la province de Mossoul (en Irak) ;
  • la zone rouge britannique est une administration directe qui comprend l’actuel Koweït et la Mésopotamie (actuel Irak, excepté la province de Mossoul) ;
  • la zone arabe B est d’influence britannique. Elle se compose du sud de l’actuelle Syrie, de l’actuelle Jordanie et de la future Palestine mandataire ;
  • la zone brune est une administration internationale. Elle est formée de Saint-Jean-d’Acre (ville située en Israël), d’Haïfa et de Jérusalem. La Grande-Bretagne devait contrôler les ports d’Haïfa et d’Acre.

La carte de la BNF ci-dessous présente en rose l'Empire Ottoman au moment de la Première Guerre mondiale :

Que symbolisent les accords Sykes-Picot pour la communauté arabe ?

Il s’agissait, de façon générale, de définir des zones de contrôle direct et des zones d’influence (mise sous tutelle). Aucun accord n’a été trouvé sur la Palestine, qui devient une "zone internationale". L’objectif pour la France et le Royaume-Uni est de garantir une stabilité de la région, alors que des promesses d’indépendance sont faites aux différents Etats. Les accords Sykes-Picot font également suite à des échanges entre Sir Henry McMahon (Haut-Commissaire britannique en Egypte) et Hussein ben Ali (chérif de La Mecque). L’idée était de "détacher les Arabes des Turcs via la création d’un Etat arabe ou d’une confédération d’Etats arabes sous l’autorité de Hussein". Dans un premier temps, les accords prévoyaient une simple assistance par les Français au nord et les Anglais au sud. Quant aux nationalistes arabes, ils prévoyaient d'accepter dans le but de combattre l’Empire ottoman puis de revendiquer leur indépendance.

Comment les autres pays ont-ils réagi à la suite de la publication de la signature des accords Sykes-Picot ?

Les Etats-Unis, dirigés par Woodrow Wilson, n’ont pas participé aux accords, mais ont souhaité obtenir un mandat de la Société des Nations. Dans un discours de 1918 intitulé les "Quatorze points de Wilson", le président Wilson établit un programme de paix pour reconstruire l’Europe. Il y indique : "aux autres nations qui sont maintenant sous la domination turque, on devrait garantir une sécurité absolue de vie et la pleine possibilité de se développer d’une façon autonome". Wilson appuie donc sur l’idée de l’autodétermination des peuples. Cette précision est contraire à ce qui était prévu dans les accords Sykes-Picot par la France et le Royaume-Uni. Ces accords sont parfois considérés comme un symbole de l'impérialisme européen, les pays concernés accusent les anciennes puissances d’avoir usé du colonialisme.

Quelles sont les conséquences des accords de Sykes-Picot ?

Une révolte arabe est menée de 1916 à 1918 contre l’Empire ottoman : commandée par Hussein ben Ali, elle vise à participer à la libération de la péninsule Arabique. L’une des victoires notables est celle de Fayçal ben Hussein (le fils de ben Ali) et Lawrence d’Arabie lors de la bataille d’Aqaba.

Différents mandats ont été attribués lors de la conférence de San Remo (printemps 1920). La Palestine et la Mésopotamie (actuel Irak) sont placées sous un mandat britannique. Quant à la Syrie et au Liban, ils sont placés sous un mandat français. A noter que ces mandats ont commencé à être appliqués lors du traité de Sèvres, le 10 août 1920. Ce traité prévoit que la Syrie et la Mésopotamie soient reconnues comme "Etats indépendants". Une condition : ces deux territoires doivent accepter les conseils et l’aide d’un mandataire pour "guider leur administration, jusqu’au moment où ils seront capables de se conduire seuls".

C’est le traité de Sèvres en 1920 qui oblige l’Empire ottoman à renoncer aux provinces arabes et africaines. Ce traité est signé alors que se déroule la partition de l’Empire ottoman, de 1918 à 1922. Dans un même temps, la Thrace orientale a été cédée à la Grèce (excepté Constantinople) et l’indépendance d’une grande Arménie a été reconnue. Enfin, une province kurde a été créée. Malgré le fait que le parlement turc ne ratifie pas ce traité, l’article 97 prévoit un "principe d’application immédiate des dispositions". La guerre d'indépendance turque mènera à la création de la Turquie en 1923, la République est proclamée le 29 octobre.

Carte Moyen-Orient
Carte du Moyen-Orient aujourd'hui © gt29 - 123RF

Les dates clés des accords Sykes-Picot

16 mai 1916 — Accords Sykes-Picot
Mark Sykes et François Georges-Picot rédigent des accords secrets qui visent à préparer le découpage du Proche-Orient au sortir de la Première Guerre mondiale. La France devait récupérer l’actuel Liban et le Royaume-Uni devait contrôler le Koweït et la Mésopotamie.
6 juillet 1917 — Victoire des Arabes à Aqaba
Lawrence d’Arabie organise la révolte arabe contre l’Empire ottoman. La bataille d’Aqaba, le 6 juillet 1917, signe la victoire des Arabes qui prendront également la ville de Damas, en octobre 1918.
10 août 1920 — Fin de l’Empire ottoman
Le territoire ottoman est réduit à l’Anatolie. La Grèce obtient la côte égéenne, l’Arménie et le Kurdistan obtiennent le droit à l’indépendance et les provinces arabes sont placées sous mandats français et britanniques.
24 juillet 1922 — L’Acte de Londres confirme la tutelle française sur le Liban
Les Libanais et les maronites militent pour une indépendance qu’ils n’obtiendront qu’en 1946. Mis sous tutelle française en 1922, le Liban est doté d’un conseil représentatif puis d’une constitution en 1926.
24 juillet 1923 — Signature du traité de Lausanne
Le traité de Lausanne est ratifié par la Turquie et les puissances alliées qui ont remporté la Première Guerre mondiale. Cet accord se substitue au traité de Sèvres.
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